Modes de rémuneration des avocats associés : la crise a-t-elle changé la donne ?
By Philippe Melot on Sunday, October 17th 2010
Management des Cabinets d'avocats
Cette chronique est parue le 13 octobre 2010 sur le site du Village de la Justice.
Beaucoup de cabinets d’avocats ont été affectés par la crise économique, et les départs et baisses de rémunérations qui en ont découlé suscitent de nombreuses remises en cause. Ainsi à Londres des cabinets comme Lovells, Simmons & Simmons, Addleshaw Goddard viennent de décider de s’éloigner du système de lockstep pour les juniors partners au profit d’un système plus méritocratique. Il semble que la crise ait pour effet d’accélérer un processus déjà entamé depuis quelques années, la remise en cause des locksteps purs au profit de systèmes mixtes où la performance individuelle est mieux prise en compte. Faisons le point sur ces différents systèmes et leurs évolutions.
Charybde et Scylla ?
Les modes de rémunération des associés de cabinets d’avocats varient entre deux extrêmes : la mise en commun totale des honoraires puis leur redistribution à l’ancienneté, d’une part, (appelé « lockstep ») et l’appropriation par chacun des seuls honoraires générés individuellement, d’autre part (méritocratie ou « eat what you kill »). Les avantages et inconvénients des deux systèmes sont connus : le lockstep favorise l’esprit d’équipe et le cross-selling, mais peut créer des frustrations chez les plus performants ; le système méritocratique rend chacun responsable de sa propre rémunération, mais génère des comportements individualistes. Entre Charybde et Scylla, chaque cabinet trouve son équilibre en fonction de sa philosophie et de sa stratégie. De toute façon, beaucoup de cabinets remettent périodiquement l’ouvrage sur le métier, en fonction de leurs évolutions internes. Le lockstep s’était toutefois peu à peu généralisé : il convient bien à la stratégie de développement des grands cabinets pluridisciplinaires et internationaux, « firmes » à l’anglaise, dans lesquels la marque du cabinet prime sur la personnalité de l’associé, et où chacun est censé concourir au succès global de l’ensemble. Peu importe qu’un bureau, une spécialité, un associé soit moins productif, l’essentiel est le développement de la firme. Les écarts de rémunération entre associés sont relativement faibles, 1 à 3 ou 5. Mais il est clair que dans ce système les plus performants subventionnent les moins rentables, ce qui ne manque pas de générer des ressentiments, voire des départs. Les cabinets américains ont adopté pour beaucoup d’entre eux des systèmes de rémunération plus individualistes communément appelés « eat what you kill »… l’image est parlante. Dans ces systèmes l’intérêt de la firme passe au second plan, chaque associé cherche à maximiser sa propre facturation et donc rémunération et n’est pratiquement pas intéressé au résultat de l’ensemble. Les écarts de rémunération peuvent être très importants, de l’ordre de 1 à 10, voire plus, d’un associé à l’autre et d’une année sur l’autre.
Le curseur au milieu ?
Le développement national et international de beaucoup de cabinets a favorisé le lockstep pendant des années. Il correspond à une stratégie à long terme d’implantation de la marque dans laquelle il est à la fois difficile et peu souhaité de comptabiliser précisément l’apport de chacun au tout ; au contraire le succès de chaque avocat est réputé bénéficier indirectement à la réputation et la prospérité de la firme. Effet de balancier ou évolution profonde ? On constate depuis les années 2000 que beaucoup ont adopté des éléments de méritocratie, et la crise économique semble avoir accéléré ce mouvement. Il est connu que la prospérité facilite la générosité, et qu’à l’inverse l’insécurité–même très relative- engendre des tensions. Aussi la majorité des cabinets ont ils mis en place des systèmes hybrides : chaque associé se voit garantir un revenu fixe mensuel identique pour chaque associé et basé sur les prévisions de chiffre d’affaire et de bénéfice du cabinet ; en fin d’année le bénéfice supplémentaire, s’il existe, est à nouveau réparti mais cette fois de façon inégalitaire, en fonction de la production de chacun. De plus la contribution aux activités non facturables (marketing, management) est prise en compte, quoique de façon très diverse d’un cabinet à l’autre. La crise et son cortège de licenciements semble donc avoir accéléré la disparition des locksteps purs et favorisé l’induction de plus de méritocratie. Aujourd’hui la majorité des cabinets ont adopté des systèmes hybrides.
Deux tendances lourdes se dessinent pour l’avenir : dans les grands cabinets internationaux, il est clair que l’intuitu personae influe moins sur le choix du client, qui achète surtout une signature. Dès lors la rémunération de l’associé devrait logiquement être moins individualisée. En revanche dans les structures moins importantes en taille, pour lesquels le choix du client repose beaucoup sur la personnalité et l’expertise de l’associé, il serait logique que la rémunération reste fortement différenciée.
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